Chapitre II

 

La pièce était très grande. La seule lumière venait d’un lampadaire dont le pied, haut de plus d’un mètre et taillé dans une sorte de pierre rouge qui ressemblait à du quartz, représentait deux nymphes – ou deux faunesses – nues, dos à dos. L’abat-jour semblait être en fin parchemin. À cette vue, Childe sentit un froid mortel l’envahir, comme si on lui avait enfoncé dans l’anus une énorme chandelle de glace qui lui serait remontée jusqu’au cerveau. Il se souvenait des peaux humaines qu’il avait découvertes dans un tiroir de la maison d’Igescu : des peaux prélevées sur des cadavres – ou peut-être sur des êtres encore vivants – puis recousues pour pouvoir être gonflées comme des baudruches.

Dans des tons bleus, rouges et pourpres, on voyait sur l’abat-jour des formes semi-humaines se tordant dans les flammes.

Les murs étaient revêtus d’une sorte d’épais capiton à triple motif qui se répétait à l’infini. Il y avait un satyre debout sur une pierre basse, une jambe légèrement levée. Le dos courbé, tête et bras levés, il soufflait dans une flûte de pan. Une nymphe accroupie devant lui suçait un énorme dard violacé. Derrière elle, une créature mi-femme, mi-serpent : la partie inférieure était celle d’un gigantesque python portant des taches blanches et pourpres, et le haut, à partir du nombril, un corps de femme. Elle avait des seins lourds et fermes, avec des pointes dressées d’un rouge écarlate, un ravissant visage triangulaire encadré par une longue chevelure argentée. De ses doigts fuselés, elle écartait les fesses ovoïdes de la nymphe penchée vers l’avant et dardait une longue langue fourchue à l’entrée du vagin ou de l’anus.

Derrière la lampe se trouvait un immense lit à douze colonnes surmonté d’un baldaquin cramoisi d’où pendait une multitude de glands. Sur le lit, Vivienne et un homme, nus tous les deux.

Elle était couchée sur le dos, les jambes passées sur les épaules de l’homme. Il était sur le point d’enfoncer sa pine.

Childe regarda attentivement. Il s’attendait à quelque chose d’étrange de la part de l’homme, ou de la femme. Mais pour cette dernière, il savait à quoi s’attendre : alors qu’il rôdait à travers les passages secrets de la maison d’Igescu, il avait aperçu Vivienne dans sa chambre. Elle se croyait seule, et elle s’était fait l’amour à elle-même avec une ardeur paroxystique qu’il n’oublierait jamais.

— Rentre-la toi-même, mon chou, dit l’homme.

Il avait aux alentours de trente-cinq ans, un corps couvert de poils noirs qui commençait à s’empâter.

Soudain, il poussa un hurlement et jaillit du lit, d’un seul et brutal mouvement du bras, le corps tout entier raidi par une terreur sans borne.

Il recula, tenta de se lever tout en se détachant de Vivienne, dont les jambes s’envolèrent comme deux oiseaux effrayés l’un par l’autre.

L’homme tomba du lit et roula à terre. Il ne hurlait plus, mais tremblait en poussant des gémissements.

Vivienne se mit à quatre pattes et rampa vers le bord du lit pour le regarder. Une sorte de long serpent avec une tête sombre qui pendait entre ses jambes rentra dans la fente et disparut.

— Qu’est-ce qu’il y a, Bill ? demanda-t-elle du haut du lit. Tu as avalé ta queue ?

Il s’était maintenant remis sur son séant, palpant et regardant fixement son pénis. Il leva vers elle un regard chargé de surprise.

— Bon dieu ! Ce qui s’est passé ? Tu me demandes ce qui s’est passé ? J’ai cru… j’ai vraiment cru… tu as des dents dans le con ?

Il se remit sur pieds. Le gris de sa peau commençait à reprendre couleur. Il agita sa bitte dans la direction de Vivienne.

— Regarde-moi ça ! Il y a des marques de dents, là !

Elle prit l’organe flasque, pareil à un ver géant mais malade, et se pencha pour l’examiner.

— Où vois-tu des marques de dents ? dit-elle. Il y a quelques petites entailles, mais rien de grave. Là ! Le petit garçon à sa maman se sent-il mieux, maintenant ?

Elle avait pris dans sa bouche le gros gland violacé, promenant sa langue sur la hampe.

Il recula en lançant :

— N’approche pas, femme !

— Tu deviens fou ? dit-elle.

Assise sur le bord du lit, elle pointait vers lui les cônes orgueilleux de ses seins splendides. Sa toison formait un large triangle d’épais poils d’un rouge cuivré, presque de la même nuance que la longue et lourde chevelure auburn qui encadrait son visage. Les jambes, très blanches, étaient extraordinairement longues.

Bill se tenait toujours à bonne distance. Il reprit :

— C’est sûr, quelque chose m’a mordu. Tu as des dents dans le con !

Elle se laissa retomber en arrière sur le lit, les jambes écartées, effleurant le sol du bout des orteils.

— Enfonce le doigt, chéri, pour te rendre compte à quel point tu es bête.

Il regarda fixement la toison rougeâtre et la fente entrouverte, lança d’un ton revêche :

— Je tiens à mon doigt, aussi !

Vivienne se remit brutalement sur son séant, le visage déformé par la rage.

— Espèce de trou du cul ! Je te prenais pour un vrai homme, sain de corps et d’esprit ! Je ne savais pas que t’étais un malade ! Des dents dans mon con, vraiment ! Fous le camp d’ici avant que j’appelle les infirmiers de l’asile ! Bill eut un regard égaré.

— Je te jure, je ne vois vraiment pas comment l’expliquer ! Peut-être que je perds la boule ! Ou alors c’était simplement une impression passagère, cette sensation de brûlure ! Mais non, bon dieu, on aurait vraiment dit des petites dents ! Ou une pelote d’épingles !

Vivienne descendit du lit et étendit une main vers Bill.

— Allons, viens, mon chou. Assieds-toi sur le lit. Là !

Elle tapota le bord du lit.

Bill devait avoir compris qu’il se rendait ridicule. Et la vue des formes provocantes de Vivienne, de son visage d’une insolente beauté l’aida à surmonter ses craintes. Sa queue reprit du volume, sans pour autant se dresser. Il s’assit sur le bord du lit, tandis que Vivienne allait s’emparer d’un oreiller qu’elle jeta sur le sol pour y poser ses genoux.

— J’ai des dents dans la bouche, mon chou, mais je sais m’en servir, dit-elle.

Elle se saisit de l’organe à demi érigé et promena sa langue par petits coups sur le bout du gland. Bill eut un léger sursaut, puis s’installa plus confortablement pour la regarder prendre dans sa bouche la moitié de son membre. Elle commença à mouvoir lentement la tête d’avant en arrière, et l’organe disparut entièrement pour reparaître, rouge et luisant.

Tremblant, poussant de petits gémissements, Bill gardait son regard braqué sur la bitte qui entrait et sortait entre les lèvres rouges et gonflées. Manifestement, ce spectacle accroissait encore sa jouissance.

Harald Childe se demandait si cela valait la peine de rester. Il était là pour tenter de dénicher tout ce qui était de nature à accabler Vivienne et ses pairs. S’il voulait trouver des noms, des adresses, des documents, des enregistrements, des films, ou tout autre objet qui apporterait la preuve de leurs activités criminelles, c’était maintenant qu’il devait le faire. Occupée comme elle l’était, il était peu probable que Vivienne prête attention aux bruits provenant d’une autre partie de l’appartement.

Mais c’était l’homme qui le préoccupait. De toute évidence, il n’était pas au courant des particularités physiologiques de Vivienne et des conséquences fatales qui en résultaient pour les autres. Du moins Childe supposait-il qu’elles étaient fatales : il ne l’avait jamais vue tuer ou même blesser personne, mais il était certain qu’elle était bâtie sur le même modèle que ses sinistres partenaires.

Ce Bill était un innocent en ce sens que c’était une victime. Il n’avait sans doute jamais rien fait pour contrecarrer les agissements de ces monstres : ce n’était qu’un partenaire de rencontre – tout comme l’ex-associé de Childe.

Childe frissonna au souvenir du film que les tueurs avaient fait parvenir à la police. On y voyait son associé en train de se faire sucer, exactement comme Bill en ce moment. La femme avait enlevé son dentier, l’avait remplacé par un jeu de dents d’acier tranchantes comme des rasoirs et avait d’un claquement de mâchoires décapité la bitte de son associé.

Depuis lors, les rêves de Childe étaient traversés par le souvenir de la fontaine vermeille qui avait jailli soudainement.

Il prit le parti d’intervenir. Ce faisant, il se privait de l’occasion d’inspecter la maison. Mais il devait agir pour que rien n’arrive à cet homme. Et agir vite. Mais pas tout de suite. Il fallait qu’il sache ce qui allait se passer. Il attendrait encore un peu avant de faire irruption dans la chambre.

Vivienne se leva brusquement, dévoilant le membre rouge et gonflé de Bill qui pendait à un angle de quarante-cinq degrés.

— Remonte sur le lit, mon chou, et allonge-toi, dit-elle.

Toutes les préventions qu’il avait pu conserver à son égard s’étaient évanouies en même temps que s’accroissait sa pression sanguine. Il se rejeta en arrière et s’allongea, la tête sur l’oreiller, tandis qu’elle grimpait sur le lit. Elle s’affaira encore quelques instants sur le gland avec la bouche, puis dit :

— Bill ?

Il demeurait à plat dos, les bras écartés, le visage tourné vers le ciel. Ses yeux étaient grands ouverts. Il ne répondit rien.

— Bill ? répéta-t-elle, un peu plus fort. N’obtenant toujours pas de réponse, elle se pencha sur lui et scruta son visage. Elle lui pinça la joue, puis la gratta du bout des ongles. Un peu de sang perla, mais il ne fit aucun mouvement. Seul son membre se redressa, épais, luisant, rouge violacé.

Vivienne se retourna alors, et Childe vit le sourire qui se peignit sur son visage. Quelles que soient ses intentions, pour elle tout se déroulait comme prévu.

C’était le moment où jamais pour intervenir, mais il était trop fasciné pour faire un mouvement. Bill paraissait paralysé. Comment et pourquoi, Childe était incapable de le dire. Du moins au début. Puis il comprit que la chose qui avait mordu Bill au popaul avait des dents empoisonnées. Le venin l’avait congelé, à l’exception de la bitte où l’on voyait encore battre le sang.

La femme l’enfourcha pour pouvoir faire pénétrer la bitte dans son vagin. Mais elle n’alla pas plus loin que le gland, et cessa de peser sur le corps immobile. Elle demeura dans cette position une trentaine de secondes, tremblant violemment, comme emportée par un orgasme. Après quoi elle se retira d’un coup, dévoilant le pénis toujours dressé. Mais des petites rigoles de sang coulaient de plusieurs endroits entre le gland et le corps du membre.

Vivienne fit demi-tour pour l’enfourcher à nouveau, en lui tournant le dos. Elle glissa une main sous ses fesses pour saisir la queue et l’enfoncer en elle. Mais cette fois, elle la fit lentement glisser dans son anus. Et quand le gland eut disparu, elle cessa de peser. Childe eut la rapide vision de ce qui allait suivre. Il avait la nausée, savait qu’il devait mettre un terme à ce viol monstrueux, mais était taraudé par le désir de voir ce que, pour autant qu’il sache, aucun homme vivant n’avait encore pu contempler. Aucun homme vivant.

Vivienne attendit encore un peu, puis les lèvres de sa fente se dilatèrent et s’ouvrirent. Le tapis dense d’abondants poils roux se partagea en deux, et une petite tête apparut, toute gluante de sécrétions vaginales. On reconnaissait un visage masculin : des cheveux noirs, une fine moustache et une petite barbiche. Les yeux étaient deux grenats sous des sourcils pas plus épais qu’une patte de Veuve Noire ; les lèvres, si minces qu’on les distinguait à peine ; le nez, long et busqué.

La tête s’avança tandis que le corps continuait à émerger du vagin, tel un serpent. Elle se dressa et Childe entendit un sifflement – qui n’était que le produit de son imagination. Elle glissa sur les bourses fripées et se coula en dessous, apparemment à la recherche de l’anus. Puis elle disparut, tandis que le corps continu à se délover en sortant de la fente. À présent, elle devait s’être profondément enfoncée dans les intestins de l’homme.

Childe sortit brusquement de sa torpeur. Il secoua la tête, comme quelqu’un qui sort d’un rêve. Il n’était pas très sûr de ne pas avoir vécu cette scène hallucinante dans un état de semi-hypnose. Il franchit le seuil à l’instant où Vivienne se laissait retomber sur le pénis, l’enfonçant tout au fond de son cul. Elle avait les yeux fermés, une expression extatique sur le visage. Il parvint tout près d’elle pendant qu’elle se laissait aller et venir tout au long du membre en grognant des mots dans une langue étrangère. On entendait uniquement le son de sa voix, la pluie qui battait aux fenêtres et les grincements des ressorts du sommier, tandis qu’elle glissait sur la pine comme un singe sur un mât.

De plus près, Childe put voir que le corps pâle et visqueux de la chose était dans l’anus de l’homme. Apparemment, il était allé aussi profond qu’il pouvait ou qu’il voulait, car il ne bougeait plus. Childe sentit une nausée l’envahir à l’idée de la tête, grosse comme une balle de golf, qui ouvrait des yeux cruels et aveugles dans la nuit des entrailles, se délectant des friandises qu’elle y était allée chercher.

Gare à la bête
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